Balbutiements d’un héros en puissance

658442315.jpgCette semaine j’ai vécu une folle passion dans les bras de Prosper. Certes, le nom est improbable ; la situation, encore plus, puisque ce Prosper est décédé en 1870. Mais est-il un miracle qu’un amour si ardent n’engendrerait pas ?

Magnanime et peu jalouse, je m’expose à son infidélité en partageant ici, là, maintenant et avec vous, le secret de mon engouement sévère pour la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée.

Ayant fait une carrière de diplomate, Mérimée a la réputation d’un dandy secret. Parmi ses influences littéraires : Walter Scott et Pouchkine. Pour une biographie exhaustive : Mérimée vu par le Ministère de la Culture. Petite anecdote croustillante : il décède en 1870 à Cannes quelques semaines après la défaite de Sédan ; cependant, avant cela, il est déclaré mort avant l’heure et seul un démenti paru dans le Figaro permet de faire taire la rumeur.

1386142982.jpgMérimée entreprend la rédaction de sa chronique en 1828, à l’âge de 25 ans. A l’époque, le jeune écrivain connaît une vie sentimentale mouvementée et des déconvenues amoureuses ; ses aventures entraînent aussi un duel avec un mari jaloux, duel qui lui vaut trois balles dans l’épaule et le bras le 9 janvier de la même année. Au passage, et toujours pour le petit côté people, on lui prête une aventure désastreuse avec George Sand en 1833.

Mais revenons à nos moutons. Rappelant le roman picaresque à la Don Quichotte, cette chronique est l’histoire du jeune Bernard de Mergy, illustre inconnu protestant se rendant à Paris pour faire ses preuves aux côtés de l’Amiral, figure de proue des hérétiques et fameux guerrier. Sans connaître le succès d’œuvres postérieures comme Carmen ou la Vénus d’Ille, le livre s’impose progressivement, favorablement accueilli dans l’ensemble malgré quelques critiques, dont celle de Barbey d’Aurevilly : « Excepté l’étreinte, il n’y a, dans les romans de M. Mérimée, que des coups de pistolet et des coups de couteau ».

89107475.jpgIl s’agit au premier abord d’un roman initiatique, puisque le jeune de Mergy, parti pour faire son apprentissage dans l’armée, va s’initier à la vie de débauche de jeunes hommes insouciants et découvrir les plaisirs et malheurs d’un homme convoité par une femme d’influence à la cour. De Charles IX, voilà ce que l’on sait : pour en avoir une description, mieux vaut aller voir son buste au musée d’Angoulême ; la future épouse d’Henri IV Marguerite, indisposée, gardait la chambre. Pourtant, la politique n’est pas loin. Charles IX fait vraisemblablement allusion à Charles X, roi à l’époque de la rédaction du manuscrit. Le roi, personnage de l’ombre, apparaît pourtant à plusieurs reprises dans le roman sous les traits d’un homme fourbe, peu franc et foncièrement cruel, en politique comme à la chasse.

Le contexte historique est cependant tout autre, puisque la chronique s’achève avec la Saint-Barthélemy et la prise de la Rochelle. On peut penser que le thème central de la guerre civile fait écho aux massacres perpétrés pendant la Révolution et la période tumultueuse qui s’ensuit. Quoi qu’il en soit, les différences de religion sont ici au premier plan avec les retrouvailles de Bernard et du canard boiteux de la famille, à savoir son frère récemment converti. Combattant dans deux camps différents, les deux héros sont témoins des horreurs de la guerre religieuse qui sévit en France dans la deuxième moitié du XVIe.

363937596.jpgUn roman trop sombre ? Non point ! Le sujet n’est pas léger et c’est ce qui fait aussi son intérêt. Cependant, Chronique du règne de Charles IX est peut-être avant toute chose une histoire de cape et d’épée. Oyez, oyez, aventuriers ! Ecrite sur un ton léger, cette chronique est bien souvent pleine d’humour, sans aucun doute toujours savoureuse. Les déboires du jeune de Mergy font notre plaisir : rencontre malencontreuse avec les reîtres dans un bouge entre Orléans et Paris ; bégaiements de jeune niais en présence de la cour ; intrigue amoureuse ; duel (bien évidemment, l’adversaire est totalement antipathique !) ; rencontre avec une sorcière ; ripailles faites en compagnie de catholiques reluquant les belles femmes à l’église… voilà bien des exploits pour un Bernard attachant.

Cette chronique palpitante est un drôle de plongeon en 1572 et une excellente immersion dans l’univers de Mérimée. Dont les œuvres intégrales me font de l’œil désormais…

296 p

Prosper Mérimée, Chronique du règne de Charles IX, 1829

Commentaires

Très joli sur ce livre que je connaissais que de nom, mais qui donne envie de s’y plonger. Cela me changera l’image du Mérimée de la Vénus D’Ille !

Écrit par : Yohan | 31/05/2008

Prosper, le roi du pain d’épices !

Écrit par : Zorglub | 31/05/2008

Si j’ai bonne mémoire, je n’avais pas du tout aimé la fin, qui était très abrupte, dans le genre « je vous laisse deviner tout seul ce qui arrive aux héros »;-)

Écrit par : Caroline | 31/05/2008

@ Yohan : je ne gardais pas un souvenir impérissable de « la Vénus d’Ille », lu au collège, en prime avec un prof que je n’aimais pas du tout et qui postillonnait sur nous à tout bout de champ ! Mais maintenant j’ai bien envie de relire cette nouvelle !

@ Zorglub : ah oui, je n’avais pas pensé à celle-là mais cela ajoute au côté improbable !

@ Caroline : tout à fait ça !:) Je trouve ça amusant en fait, surtout que l’aventure se déroule sur quelques mois ; on sait comment l’histoire finit à court terme et s’il développait un peu trop la suite cela ferait un peu trop conte, pas trop chronique… bref, une petite boutade qui m’a fait bien rire, même si, je l’avoue, le fait de ne pas savoir ce qui va arriver à nos nouveaux amis a quelque chose d’exaspérant !

Écrit par : Lou | 31/05/2008

Merci, Lou, d’avoir sorti le cher Prosper du tombeau où il s’ennuyait.

Écrit par : Georges F. | 01/06/2008

@ Georges F. : ce fut un plaisir, croyez-moi !

Écrit par : Lou | 01/06/2008

Ton billet est tentant et pourtant le titre et l’auteur ne m’auraient pas attirée de prime abord (je n’ai lu que Carmen de Mérimée) !

Écrit par : Joelle | 02/06/2008

@ Joëlle : c’est justement le titre un peu décalé (outre l’éditeur) qui m’a mis sur la bonne voie:o)… j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, j’espère que tu l’apprécieras autant.

Écrit par : Lou | 03/06/2008

C’est à croire que tous les hommes de cette époque ont eu une aventure désastreuse avec George Sand!!! 😉 Il me semble que je lis ça souvent. Je n’ai jamais lu Mérimée mais une histoire de capes et d’épées drôle… pourquoi pas!

Écrit par : Karine | 03/06/2008

@ Karine : ah là là, cette Sand, quel phénomène ! :p Et je suis vraiment ravie de dépoussiérer un vieux classique, moi qui ai gardé pendant longtemps une image un peu vieillotte de ce pauvre Prosper, mon nouveau héros !

Écrit par : Lou | 04/06/2008

Influencé par Scott, un roman de cape et d’épée, c’est pour moi!

Écrit par : Isil | 06/01/2009

@ Isil : super !!:o) Par contre Prosper c’est mon mien, hein ? ^^

Écrit par : Lou | 07/01/2009

Pas de problème. Un homme qui s’appelle Prosper, je te le laisse 😉 Le pain d’épice est un gros traumatisme de mon enfance (voilà une référence que les moins de trente ans vont avoir du mal à comprendre 😉 )

Écrit par : Isil | 07/01/2009

@ Isil : eh dis donc, c’est quoi ce racisme anti jeunes, hein ? hein ? ^ ^ D’abord j’ai 25 ans et je me souviens vaguement du pain d’épice Prosper, je suis sûre qu’il y avait encore des pubs dans les années 80 à l’époque du Club Dorothée (j’ai même connu les dernières années de la cinquième avec ses super dessins animés, non mais !) MDR

Écrit par : Lou | 07/01/2009

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