Hard Candy

mansfield_mariage_mode.jpgRepéré il y a des mois sur les blogs, classé parmi le challenge anti-PAL que je m’étais fixé fin 2007, Mariage à la Mode de Katherine Mansfield a attendu bien longtemps dans ma bibliothèque mais voilà, je l’ai enfin lu. Bien m’en a pris, car j’ai passé un très bon moment ; plus encore, j’avais justement besoin de ce type de texte en ce moment. Je précise au passage que j’essaie de lire en parallèle deux autres romans qui ne me passionnent pas, d’où l’effet salvateur de ce petit recueil.

 

Tirés de La Garden-Party et autres nouvelles, les deux textes de ce recueil ont le mérite :1) d’inciter fortement le lecteur à prolonger le plaisir avec la découverte du recueil complet ; 2) de donner un aperçu intéressant de l’œuvre de Mansfield, réputée pour ses talents de nouvelliste. J’avoue avoir parfois un peu peur après plusieurs lectures décevantes dans cette collection Folio 2 € (j’en parlais après ma lecture de Mark Twain).

 

Bizarrement, Mansfield fait partie de ces auteurs classiques un peu oubliés après avoir été en vogue à une certaine période. Voilà en quelques mots ce que nous raconte monsieur Folio à ce sujet.

mansfield_2.jpgMansfield (1888-1923) est un auteur néo-zélandais. Ayant étudié au Queen’s College à Londres, elle passe quelques années entre la Nouvelle-Zélande et l’Angleterre où elle choque la bonne société en « s’éloignant » du jeune violoncelliste Arnold Trowell pour devenir la maîtresse de son frère jumeau violoniste, Garnet. Shocking ! Alors qu’elle est enceinte de Garnet (dont les parents s’opposent bien sûr à une éventuelle union), Mansfield épouse finalement George Bowden, « un professeur de chant plus âgé qu’elle de trente et un an », « pour le quitter le jour même ». (Notez, amis lecteurs, le côté sulfureux de cette biographie qui a au moins le mérite de nous tenir en éveil par son petit côté piquant même si, jusqu’ici, hormis la publication de quelques nouvelles, rien de bien littérairement significatif n’est arrivé à la jeune Katherine) Mansfield, rayée du testament de sa mère, fait également une fausse couche avant de continuer à mener une vie sentimentale forte en rebondissements. Au début des années 1910, Mansfield commence à souffrir de tuberculose ; la maladie ne sera pas diagnostiquée à cette époque mais la pousse à se rendre dans le sud de la France en 1917. Cette période est aussi marquée par le décès de son frère victime d’une grenade et dont la mort touche particulièrement l’auteur. Mansfield, après avoir fait notamment la connaissance de D.H. Lawrence avant son installation en France, devient également l’amie de Virginia Woolf. Cette dernière pousse Mansfield à publier ; deux recueils voient le jour : Félicité en 1920 et La Garden-Party en 1922. D’autres nouvelles, le journal et les lettres de Katherine Mansfield seront également publiés à titre posthume.

Passons le côté people et parlons maintenant de ces deux nouvelles.

Mariage à la Mode est l’histoire de William, travaillant à Londres et venant passer ses week-ends en bord de mer auprès de son épouse et de ses enfants. Amoureux fou de sa femme, heureux en famille, William a dû s’habituer aux nouvelles exigences de son épouse, toujours charmante mais très influencée par un groupe d’amis. Une grande maison, des domestiques, peu d’intimité. Voilà à quoi se résume désormais la vie de William, pourtant prêt à faire chaque week-end beaucoup de concessions.

Entre cet homme qui souffre d’une douleur à la poitrine (annonce de mort imminente ? symbole de son malheur ?), sa femme jolie mais frivole, les relations envahissantes profitant des moyens financiers de l’avocat et deux enfants auxquels il ne peut plus offrir de jouets (à la demande de sa femme) et dont les bonbons et autres cadeaux comestibles sont accaparés par l’épouse et ses amis, Mariage à la Mode est un texte au final assez mélancolique aux personnages extravagants.

La Baie, qui constitue l’essentiel de ce recueil, est un récit retraçant la journée des habitants de Crescent Bay, de l’aube jusqu’aux premières heures de la nuit. Vacances en famille, désirs personnels, vie quotidienne, rêves enfouis sous une réalité tout autre, conventions, alliances et animosité ne sont pas en reste dans un tableau réaliste exécuté avec une certaine légèreté.

Si les sujets ne sont pas forcément très joyeux, ces textes restent pourtant agréables, comme baignés de la lumière et caressés par la mer toutes deux omniprésentes dans ces récits. Les défauts, les sentiments négatifs aussi bien que les aspects plus positifs de la nature humaine sont révélés avec simplicité et avec un certain recul qui pose le narrateur en simple observateur omniscient. C’est au lecteur de juger de la conduite des uns et des autres s’il le souhaite. Reste un portrait parfois tendre, souvent acidulé brossé par une plume très agréable. Tout en finesse, ces deux récits qui m’ont parfois fait penser aux toiles de Sorolla ou de Mary Cassatt méritent sans aucun doute d’être (re-)découverts.

L’avis de Hilde et celui de Lilly.

 

Extrait de La Baie :

La mer était basse ; la plage était déserte ; les flots tièdes clapotaient paresseusement. Le soleil ardent, flamboyant, tapait dur sur le sable fin ; il embrasait les galets veinés de blanc, les gris, les bleus, les noirs. Il absorbait la petite goutte d’eau blottie au creux des coquillages incurvés ; il décolorait les liserons roses qui festonnaient les dunes. Tout paraissait immobile, à part les petites puces de mer. Pft-pft-pft ! Elles n’arrêtaient pas une seconde.

Là-bas, sur les rochers tapissés de varech qui ressemblaient, à marée basse, à des bêtes au long poil descendues boire au bord de l’eau, le soleil tournoyait telle une pièce d’argent dans chaque petite flaque. Elles miroitaient, frissonnaient et d’infimes vaguelettes venaient baigner leurs rives poreuses. Si on se penchait pour l’observer, chaque flaque était comme un lac bordé de maisonnettes roses et bleues ; et par-derrière, oh ! une immense région montagneuse – des ravins, des cols, des criques dangereuses et des sentiers affreusement escarpés qui menaient au bord de l’eau. Sous la surface ondoyait la forêt marine – des arbres roses, minces comme des fils, des anémones veloutées et des algues orange tachetées de petits fruits. Voici qu’au fond une pierre remuait, oscillait et l’on entrevoyait une antenne noire ; une créature filiforme passait en ondulant et se perdait. Il arrivait quelque chose aux arbres roses tout ondoyants : ils devenaient d’un bleu froid de clair de lune. Et soudain, à peine audible, un tout petit « floc ». Qui avait fait ce bruit ? Que se passait-il là-dessous ? Et comme l’odeur humide du varech était forte sous le soleil brûlant…

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101 p

Katherine Mansfield, Mariage à la mode précédé de la Baie, 1922

Challenge anti-PAL 2008

Commentaires

Pourquoi Hard Candy en titre du billet ? A cause de la couverture ? Moi j’ai pensé au film du même nom mais comme je ne vois pas le rapport, je me creuse la tête… ^^
Bref, la vie de l’auteur a effectivement l’air d’avoir été palpitante et tu donnes envie de lire le recueil, je rajoute à ma LAL.

Écrit par : Cécile | 27/06/2008

@ Cécile : bonne question :o) En fait le titre m’est venu spontanément en pensant au dernier album de Madonna (eh oui)… je fais souvent des rapprochements improbables avec des choses qui n’ont rien en commun hormis le titre ou un autre détail, parfois marginal. Et si Mansfield n’a effectivement rien à voir avec le film et l’album, l’expression « Hard Candy » lui convient bien à mes yeux. Une apparence de douceur, de nonchalance, de tendresse même… et en creusant un peu, beaucoup de cruauté et d’amertume qui donnent d’ailleurs de la profondeur.
Voili voilou pour l’analyse métaphysique de ce titre curieux (et de beaucoup d’autres) ;o)…

Écrit par : Lou | 27/06/2008

Une romancière française férue de littérature anglo-saxonne à découvrir ou redécouvrir : Germaine Beaumont. Voir lien.

Écrit par : Porky | 27/06/2008

Tu vas en faire des frustrés Lou, avec ton titre !!
Tant pis pour eux s’ils n’ont pas la curiosité d’aller plus loin dans la lecture de ton billet, ils passeront à côté de Katherine Mansfield (qui n’est ni la mère, ni la sœur, ni la fille de Jane, précision à l’intention des curieux que le patronyme de l’écrivain aura fait atterrir ici par mégarde;oD).
The Garden party est un recueil qui recèle de vrais petits bijoux, tous issus de la même eau que les deux que tu as lues ici.

Écrit par : In Cold Blog | 27/06/2008

Ça fait un petit moment que j’ai envie de lire cette auteure et je pense que ces deux nouvelles sont très bien pour commencer, en plus je ne prends pas trop de risque avec cette collection ! 😉

Écrit par : Florinette | 27/06/2008

Désolé, je me suis planté dans le lien. Erreur rectifiée.

Écrit par : Porky | 27/06/2008

J’avais déjà lu des choses intéressantes sur cet auteur. Tu termines de me convaincre. Allez hop, un de plus sur la LAL 🙂

Écrit par : Manu | 28/06/2008

Je garde un très bon souvenir de ce petit recueil.
Quels sont donc les romans soporifiques dont tu parles au début de ta note?

Écrit par : Hilde | 29/06/2008

Je ne connaissais pas. Une future découverte à faire, sans aucn doute !

Écrit par : canthilde | 29/06/2008

Je garde un très bon souvenir de ces deux nouvelles, même si ta critique m’a fait réaliser qu’à part cette impression, je ne garde rien de cette lecture ou presque…
Bonnes Vacances !

Écrit par : Lilly | 29/06/2008

Ton billet donne assez envie de lire ces nouvelles, mais je craignais que ça ait malgré tout un peu vieilli…

Écrit par : liliba | 30/06/2008

Merci pour ta réponse. 🙂
En tous cas, j’aime bien l’imagination dont tu fais preuve à chaque fois pour nommer tes billets.
A bientôt.

Écrit par : Cécile | 02/07/2008

On efface tout et on recommence : je me suis planté dans le jour et l’année en ce qui concerne le lien vers Germaine Beaumont ! (mes compétences en informatique sont immenses, c’est un fait.) Cette fois, j’espère que ce sera le bon lien. Bonnes vacances.

Écrit par : Porky | 05/07/2008

@ Porky : merci beaucoup pour toutes ces tentatives répétées et le lien ;o) J’ai un recueil de trois romans de Germaine Beaumont dans ma PAL. Recommandé d’ailleurs par Florinette. C’est bien de la citer d’ailleurs car je crois que je ne l’ai jamais vue sur un blog.

@ In Cold Blog : merci pour ton passage ici ! Quant à Mansfield, je me demande si je n’achèterai pas carrément le recueil complet de toutes ses nouvelles tellement j’ai apprécié.

@ Florinette : le risque financier est faible avec cette collection… côté qualité, je serais plus réservée :o) Mais là je pense qu’en effet c’est un très bon choix !

@ Manu : ravie d’avoir eu cet effet :o)

@ Hilde : le Kingsolver et un roman du prix Landerneau, petite curieuse :p

@ Canthilde : je pense en effet que cela t’intéresserait beaucoup.

@ Lilly : ça ne m’étonne pas trop… peut-être parce que ce sont plus des impressions que l’histoire qui jouent un rôle dans ces nouvelles.

@ Liliba : le côté vieilli ne m’a pas gênée. C’est un joli classique avec de vraies qualités littéraires. Cela dépend peut-être de ce que tu aimes lire habituellement, mais si tu lis des auteurs comme Henry James, Edith Wharton, Virginia Woolf, cela devrait te plaire. J’espère avoir répondu à ta question indirecte :o)

@ Cécile : ;o)

Écrit par : Lou | 09/07/2008

En tout cas, je peux te dire qu’elle n’est pas oublié en Nouvelle-Zélande ! Quand on y était, on voyait ses romans dans toutes les librairies (et je peux te dire que j’en ai visité un bon nombre ! mdr !)

Écrit par : Joelle | 10/07/2008

@ Joëlle : ma grand-mère vit dans une petite ville des Hautes-Pyrénées et, dans son village natal d’environ 500 habitants (à tout casser), il y a une nana qui a écrit quelques recueils de poèmes au 19e ou début 20e. Elle est totalement inconnue en général mais là-bas tu la retrouves au musée de la ville tout près, dans les boutiques de souvenirs… ma grand-mère en parle comme de LA référence en matière de littérature, placée en vrac à côté de quelques auteurs du 19e dont Hugo. Alors je ne suis pas étonnée par ce que tu dis…:o)

Écrit par : Lou | 12/07/2008

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