De la couleur des chaussettes de Fitzgerald

leroy_Alabama_song.jpgChère Zelda,

Il y a quelques mois j’ai fait ta connaissance en passant par l’intermédiaire d’un roman bardé de décorations, entre les coups de cœur de librairies industrielles qui pointaient vers lui et la mention Prix Goncourt 2007 qui lui barrait la poitrine d’un trait rouge criard, aussi rageur que la plume que j’allais découvrir.

Malgré tous ces signaux alarmants qui criaient au coup de pub, j’ai été séduite par le titre évocateur, puis le sujet. Car c’était toi Zelda qui, par le truchement d’un écrivain audacieux, allais t’exprimer dans ce roman faussement autobiographique. Pourquoi pas ?

Les louanges pleuvant sur Alabama Song, j’ai donc suggéré ce titre à l’approche des fêtes de Noël. Si ma curiosité a été satisfaite, cette lecture m’a suffisamment déconcertée pour que je laisse passer plusieurs mois avant d’écrire ce billet, que je voulais en principe rédiger après avoir lu le roman que tu avais vraiment écrit afin de comparer les deux textes. Mais le temps passant, je n’ai pas encore ouvert cet autre livre et mieux vaut t’écrire avant d’avoir oublié.

D’emblée, j’ai trouvé ce texte facile à lire, l’écriture simple, plutôt agréable. Fait d’anecdotes, de souvenirs assemblés par une narratrice à la vie idéalisée mais cruelle, le roman se lisait bien, rapidement, les pages défilant les unes après les autres.

Cependant je reste perplexe : il est clairement précisé qu’il faut aborder ce livre comme un roman et oublier toute allusion à des faits historiques, à ton véritable passé. Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas s’éloigner plus encore de la réalité ? Car voilà qui ressemble diablement à une biographie romancée ! Ce livre faisait d’ailleurs sans cesse écho à mes souvenirs de Paris est une fête d’Hemingway, qui dépeint à plusieurs reprises le couple mythique que tu formais avec Francis Scott Fitzgerald. Alors cette lecture m’a profondément agacée : puisque la narration colle de si près à l’image que l’on a de vous, celle qui reste de vos écrits et de ce que l’on a pu dire de vous, l’auteur prend peut-être trop de libertés. Entre le verbe parfois cru, le portrait destructeur de Fitzgerald (par exemple « j’ai épousé une poupée mâle et blonde pas capable de bander »), l’intimité réinventée mais peut-être voyeuse parce qu’il est difficile d’oublier les nombreuses similitudes avec ce qui a été, ce roman m’a plutôt déçue. Prendre suffisamment de distance avec la réalité pour écrire un texte audacieux et totalement improbable, voilà qui m’aurait peut-être convaincue ! Mais coller de près à une image connue tout en écrivant en ton nom des événements et des pensées très personnels, à la manière d’un journal intime, cela me laisse indécise. Un roman facile alors ? Ou bien l’audace de Gilles Leroy réside-t-elle dans sa volonté de réécrire ta vie avec ses propres mots ?

Le mieux serait quoi qu’il en soit de lire ton roman, Zelda, ce que je ferai sans aucun doute !

Je me permets de citer un extrait de la critique de Caroline Julia (Amazon), dont l’avis passionnant (que je vous recommande au passage) aboutit aux mêmes conclusions : « La vie de Scott Fitzgerald, vue du fond de la culotte d’une Zelda folle, certes, tout le monde sait cela, mais aussi aigrie, jalouse et vipérine, cela aussi on pouvait s’en douter! » ; « Chez Fitzgerald, de toute façon, tout est bon, contrairement à ce Goncourt baclé et lourdingue, facile, qui se permet de s’abriter derrière l’alibi du roman tout en salissant bien inutilement la légende… »

190 p

Gilles Leroy, Alabama Song, 2007

Commentaires

Tiens, j’avais bien aimé, pour ma part… mais je comprends tout à fait tes arguments, par contre. Je ne m’étais juste pas arrêté à y penser avant (je sais, je sais, je devrais penser plus souvent!!!)

Écrit par : Karine | 19/08/2008

@ Karine : quoi, « je sais, je sais  » ? j’ai dit quelque chose, moi ?:o) C’est plutôt bien d’avoir accepté le texte tel qu’il venait car il est assez agréable en soi.

Écrit par : Lou | 19/08/2008

Ce roman ne me tente pas trop. Je veux d’abord lire « Tender is the night », « Paris est une fête », et me faire ma propre opinion du talent de Zelda en jetant un oeil à l’un de ses écrits (si j’en trouve). Je ne sais plus qui avait parlé du fait que ce roman avait un parti pris pas franchement en accord avec ce que les spécialistes pensent de ce fameux couple (duquel je ne connaît rien sinon le nom)…

Écrit par : Lilly | 19/08/2008

Même si la tonalité générale concernant ce roman est plutôt laudative, il me semblait déjà (et tu le confirmes) qu’il faisait aussi l’objet de critiques quant à son fond. Pour ma part, je ne suis pas trop tentée.

Écrit par : Brize | 19/08/2008

@ Lilly : j’ai lu il y a très longtemps ces deux livres (je ne sais plus si j’ai lu en entier « tender is the night » ou pas, je m’en souviens peu). Les souvenirs sont vagues mais assez positifs pour me donner envie d’une (re)lecture, surtout des livres de Fitzgerald. Quant à Zelda tu peux lire « accordez-moi cette valse », réédité récemment.

@ Brize : honnêtement j’avais très envie de le lire et je suis contente d’avoir satisfait ma curiosité, mais ce n’est pas un livre incontournable à mon avis !

Écrit par : Lou | 20/08/2008

j’avais bien aimé mais je n’aurai pas crié au Goncourt non plus. Ceci dit, je trouve que Karine a raison : tes arguments tiennent tout à fait la route ! Quant à moi, j’ai essayé par la suite de lire « tendre est la nuit », j’ai abandonné au bout du 1er chapitre..
(pourtant j’avais adoré atsby et aussi son recueil de nouvelles, un diamant gros comme le ritz). J’ai bien hâte de voir ta critique du livre de Zelda elle même!

Écrit par : Emeraude | 22/08/2008

@ Emeraude : je garde un bon souvenir des Fitzgerald que j’ai lus (avec des nouvelles un peu plus légères cela dit). Quant à Zelda j’essaierai de ne pas trop tarder ;o)

Écrit par : Lou | 22/08/2008

Eh bien moi, je ne me suis jamais décidée à lire ce livre justement à cause de ce problème que tu souligne de biographie qui n’en est pas une, sans s’en éloigner. Ca me parassait un angle de vue déjà pas clair au départ et j’ai préféré m’abstenir.
Mais il est vrai que ce livre a eu un gros succès.

Écrit par : Sibylline | 14/09/2008

tu souligneS
;-(

Écrit par : Sibylline | 14/09/2008

@ Sibylline : D’habitude je ne cours pas après le Goncourt et les prix en général (à l’exception d’une légère inclination pour le Pulitzer tout de même). Mais là le sujet me tentait d’emblée. En réalité je savais juste qu’il évoquait le couple Fitzgerald, je crois que je pensais qu’il s’agissait de leur histoire, d’une sorte de biographie romancée. Cela me suffisait, mais je ne savais pas qu’il s’agissait de reprendre, inventer et déformer les propos de Zelda. Au final on ne sait plus trop ce qu’on lit : du roman ? du plagiat ? Closer ? L’écriture n’est pas désagréable mais je suis encore perplexe.

Écrit par : Lou | 17/09/2008

Bonjour, « jeune lectrice ». Sur les conseils de ma webmaster, j’ai lu hier votre billet. Vous vous posez les bonnes questions sur le plan littéraire, et j’y ai longuement répondu dans les interviews.
Pourquoi, alors, finir sur ce cassage de gueule d’une certaine lectrice qui me rappelle fort un article publié dans la presse écrite ? Il en reprend exactement les termes, très élégants, « vu du fond de la culotte de Zelda » et « Chez Fitzgerald, tout est bon… » L’article en question était signé par un homme.
« Alabama Song » s’est attiré beaucoup de haine avec son succès. Mais la haine est-elle vraiment intéressante dans un jugement littéraire ?
Enfin, je n’ai pas voulu « salir la légende ». C’est quoi, ces propos infantiles ? Quelle légende ? Ai-je inventé l’autodestruction et l’alcoolisme massif de Scott? Lisez son magnifique récit autobiographique, « La Fêlure », et vous verrez qu’il n’aurait pas beaucoup aimé être statufié en objet de légende. Un écrivain veut être lu : dans sa longue traversée du désert, Scott aurait préféré être moins légendaire et un peu plus lu. Il n’aurait pas eu besoin de se prostituer à Hollywood… pour y trouver la mort.
L’une de mes joies, avec Alabama Song, fut de voir dans les librairies des tables entières refleurir d’ouvrages de Scott. (Car vous vous trompez : le succès de mon livre tient essentiellement au soutien enthousiaste des libraires indépendants. Le livre leur doit beaucoup, et pas à ce que vous appelez les librairies industrielles.)
Enfin, à côté des horreurs que Hemingway a écrites sur son « ami » Fitzgerald dans « Paris est une fête », je crois en avoir fait un portrait certes dur, mais bien plus aimant, empathique et respectueux.
J’ai lu d’autres billets de vous sur des livres étrangers que je connais, je les ai trouvés souvent très bien sentis.
Bien à vous
Gilles L.

Écrit par : Gilles Leroy | 06/08/2009

J’ai commencé à lire ce livre (car Chronique Littéraire prépare une rencontre avec cet auteur), je me suis arrêtée à la page 70. Et bien il correspond bien à un ressenti assez juste, que je me faisais c’est à dire : Prétentieux (voir le commentaire au dessus de l’auteur miss) + Toc + Ennui = sans intérêt vite abandonner au profit de accordez moi cette valse de Zelda qui se trouvait dans ma bibliothèque. Je préfère souvent l’original à la copie 😉

Écrit par : Alice | 31/01/2010

@ Gilles Leroy : je ne vous ai pas répondu il y a quelques mois car j’avoue qu’une partie de votre réponse me laissait dubitative. J’ai eu l’impression que vous répondiez également à des reproches qui ne vous étaient pas faites sur ce blog mais plus généralement… d’ailleurs, doit-on vraiment parler de reproches quand je prétends seulement donner mon avis personnel et vraiment subjectif ?
Avec le recul, je constate que j’aurais sans doute davantage apprécié votre roman s’il n’avait pas été une biographie, même romancée. Zelda a une image assez sulfureuse. Certes je l’imaginais aussi boire comme un trou (pour dire les choses clairement) et elle passe généralement pour une personne dépressive, voire névrosée. Ce n’est pas tant cette description que certaines scènes en particulier qui m’ont réellement dérangée. Personnellement, je suis davantage gênée lorsque l’on prend des libertés avec un faux personnage (car inspiré d’une personne réelle) pour lui faire faire n’importe quoi ou dire n’importe quoi. Encore une fois, c’est un ressenti personnel. Je sais bien qu’Hemingway ne s’est pas gêné pour humilier Fitzgerald, mais ce n’est pas vraiment ce qu’il a fait de mieux dans sa vie (je me rappelle d’un passage de « Paris est une fête » qui m’avait horripilée – quelle idée de faire le fanfaron et de ridiculiser de la sorte un auteur avec ce sempiternel machisme que je déteste chez Hemingway ?). Enfin je ne pense pas vraiment que le Goncourt puisse vous desservir : il a fait découvrir votre livre au grand public et vous a certainement permis de toucher une cible de lecteurs bien plus large (soyons honnêtes, à l’exception d’un faible pourcentage de gros lecteurs qui utilisent 36 méthodes pour faire leurs choix, la plupart des lecteurs « sporadiques » se fient essentiellement aux têtes de gondole et ventes des Relais H et maisons de la presse – sans parler des vendeurs de la FNAC que j’entends régulièrement recommander avec fougue « les confessions d’une accro au shopping »- très frais, très enlevé et autres livres du même acabit, à côté des livres primés). Personnellement je ne cherche pas à être plus sévère avec quelqu’un parce qu’il a eu le Goncourt, même si vous avez peut-être eu le sentiment que c’était le cas. En revanche, j’avoue que peut-être parce que vous avez obtenu ce Prix, je me faisais une idée différente de votre roman et avais des attentes particulières.
Sachez quoi qu’il en soit que, malgré mon avis qui semble vous avoir quelque peu agacé, et malgré quelques propos « infantiles » liés à ma légère déception, je suis intriguée par votre nouveau roman qui risque de me plaire davantage, puisque j’avais apprécié « Alabama Song » dans l’absolu. Merci d’avoir pris le temps de me contacter pour réagir suite à mon billet, je suis heureuse d’avoir pu échanger avec vous et de connaître votre point de vue.

@ Alice : Chronique littéraire, tu veux dire les chroniques de la rentrée ? J’ai décidé de ne pas participer et de me contenter de Masse Critique très bien géré par Guillaume, après quelques déconvenues pour ma part.
Je serais très curieuse de lire ton avis sur les deux livres sur ton blog (et de lire également ton échange avec l’auteur, qui pourrait être intéressant…). J’ai quand même bien envie de tenter son nouveau roman qui correspond davantage à mes goûts je crois.

Écrit par : Lou | 31/01/2010

Ah, je l’ai lu comme une fiction et comme je ne connais que très peu de la vie de ce couple, j’ai adhéré à ce roman. 🙂

Écrit par : Leiloona | 19/04/2010

@ Leiloona : je ne la connais pas plus que ça et je gardais surtout en tête « Paris est une fête » d’Hemingway mais ça me dérangeait vraiment de voir des situations et des paroles peu flatteurs être attribués à une personne qui a réellement existé. Par contre j’ai vraiment apprécié « Zola Jackson ».

Écrit par : Lou | 20/04/2010

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