Dédicace spéciale !

lessing_fifth_child.jpgJe sais que c’est un peu inhabituel mais impossible de ne pas dédier cette note à Papa Lou (nom de code transparent s’il en est), qui passe parfois par ici et me reproche régulièrement de ne pas lire Doris Lessing, qui l’a très certainement ensorcelé (la vilaine !). En effet, amis lecteurs, depuis des années on essaie par tous les moyens, des plus directs aux plus détournés, de me faire lire enfin du Lessing. J’avais bien lu et apprécié la nouvelle « The grand-mothers » mais je n’en avais pas parlé ici car il me restait d’autres textes à découvrir dans ce recueil ; c’est donc avec cette note que je mettrai un terme à l’absence honteuse de Doris Lessing sur ce blog qui plus est souvent tourné vers les Côtes britanniques. Roulement de tambours (et applaudissements certains de Papa Lou) : Doris Lessing fait son entrée sur ce blog !

The Fifth Child est un roman étonnant. Avant d’aller plus loin, autant dire que mes deux lectures de Doris Lessing portent sur des sujets assez dérangeants, un peu malsains même. « The grand-mothers » a pour personnages principaux deux meilleures amies ayant chacune pour amant le fils de l’autre. The Fifth Child porte cette fois-ci sur la naissance d’un enfant monstrueux, sur les plans physique et moral. Dans les deux cas j’ai trouvé que Doris Lessing traite avec beaucoup de sang­-froid ses personnages, abordant des tabous avec précision, un semi détachement et une sensibilité certaine qui impliquent immédiatement le lecteur.

Doris Lessing définit son livre comme une « horror story » ; c’est un texte qu’elle déclare avoir détesté écrire, sans aucun doute il a découlé d’une gestation éprouvante.

L’histoire est celle de Harriet et de David, jeune couple rêvant de fonder un foyer idyllique. Dans les années soixante, ils achètent une immense maison victorienne dans le but d’accueillir une famille nombreuse et des amis toujours bienvenus. Le rêve se concrétise jusqu’à la naissance du cinquième enfant. Après une grossesse extrêmement douloureuse, Harriet éprouve immédiatement de l’aversion pour son fils qui lui évoque un gnome, un monstre issu de la fin des temps. Son mari et ses proches, s’ils ne se prononcent pas ouvertement d’abord, semblent tous mal à l’aise devant l’enfant aux yeux jaunes et au regard féroce. Dès sa naissance, Ben fait preuve d’une force extraordinaire. Froid, rageur, violent, il ne semble éprouver d’affection pour personne et ne ressentir aucune émotion, hormis une joie malsaine lorsqu’il détruit. Ce roman porte essentiellement sur l’arrivée de Ben dans la famille, son impact sur son entourage, même si l’on suit son évolution, du fœtus cruel à l’adolescent inquiétant. Le point de vue est celui de la mère (avec un passage occasionnel à la 1ère personne), à qui tout le monde semble reprocher l’existence de Ben. Harriet est sans aucun doute le personnage le plus présent dans le roman, même si elle joue à mon avis surtout un rôle de narratrice subjective.

Voilà un roman psychologique qui reprend effectivement certains éléments du roman d’horreur. Ben, qui observe froidement son entourage, reproduit des comportements humains sans les comprendre et tue des animaux à mains nues, m’a fait penser au héros du film Halloween, la Nuit des Masques qui assassine sa sœur alors qu’il est encore enfant ! S’il a tout d’un futur psychopathe, Ben est un personnage ambigu. Comme le dit Harriet, il est impossible de comprendre la façon dont il voit le monde, de savoir s’il a des sentiments ou non. Mais le monstre est aussi celui qui sommeille en chacun de nous. Ainsi, devant l’enfant gênant, la famille généreuse et bien pensante n’hésite pas à adopter un comportement inhumain ; l’enfant sera placé dans une institution (qui a tout d’un hospice victorien) où chacun s’attend à le voir mourir. Lorsque Harriet décide de le secourir, on lui oppose une muette désapprobation : pourtant, pour le lecteur impliqué mais extérieur à la scène, Harriet a adapté un comportement légitime. Qu’elle soit poussée par son devoir de mère ou ses responsabilités en tant qu’individu, Harriet agit avec un certain sens moral ; pourtant, son entourage semble trouver anormal son comportement. A la malice de Ben répond l’absence d’humanité d’une famille des plus charmantes à l’origine.

C’est un roman fascinant, très réaliste, assez court et rapidement lu (un vrai « page turner »). On peut y voir une histoire sordide ou s’intéresser à la complexité des personnages. On peut voir en Ben un simple monstre ou s’interroger sur l’ambiguïté de son comportement ou encore, sur l’origine de son apparente difformité. La lecture, bien que passionnante, est assez douloureuse en raison de la noirceur du sujet et de la façon dont il est traité. Les pistes de lecture sont nombreuses mais mieux vaut laisser chacun se faire sa propre opinion. L’écriture de Doris Lessing est quant à elle remarquable. Un livre qui sans aucun doute mérite le détour!

Doris Lessing :  »What happened, » she said,  »is that I wrote it twice. The first time I wrote it I thought it was dishonest and too soft – this is not what would happen if such an alien creature was born into our society. Something much worse would happen. So I threw away the first draft, and while it’s certainly more unpleasant now, I think it’s more truthful, especially in the reactions of the other children. I was too soft on them. » (NY Times)

Des liens très intéressants en anglais (outre le précédent lien) : le blog de Terry Weyna, celui de Kimbofo, l’article de Martha Holmes et le billet de John Self.

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133 p

Doris Lessing, The Fifth Child, 1988

Commentaires

En lisant ton billet, j’ai eu un instant peur qu’il ne soit pas traduit. Ouf, sur amazon il y a bien un titre portant le nom de « le cinquième enfant ». Je n’ai jamais lu cet auteur et tu viens de me donner l’opportunité de la lire. cette histoire m’a de suite fait penser à deux autres histoires que j’ai lu sur le thème de l’enfant monstrueux. Mais je pense qu’elles sont beaucoup moins sombres que celle-là. Il s’agit de « Dans la forêt » d’Edna O’Brien et « Le vampire de Ropraz » de Jacques Chessex.

Écrit par : Laetitia la liseuse | 14/09/2008

De cet auteur j’ai lu Vaincu par la brousse j’ai le souvenir d’un roman époustouflant ! J’ ai bcp aimé la Terroriste (lecture avant la création de mon blog) et pour mon anniversaire je me suis offert le Carnet d’or !

Écrit par : Alice | 14/09/2008

Je ne connais pas cet auteur… je sens que je vais craquer et me commander cet ouvrage ! merci pour ton excellente critique !

Écrit par : Ingrid | 15/09/2008

Tu me donnes vraiment envie de le lire mais j’ai un instant cru mais la liseuse me rassure, qu’il était en anglais.

Écrit par : Thaïs | 15/09/2008

Comme Alice, j’ai été époustouflée par « Vaincue par la brousse », je te le conseille chaudement. « The Fifth Child » me tente beaucoup.

Écrit par : Caroline | 15/09/2008

c’est fou, j’ai peur d’avoir peur… je tremble juste en lisant ton billet! De Lessing, j’ai lu « The golden notebook » (que j’ai aimé en partie… le genre de livre que tu conçois que c’est un grand livre mais sur lequel tu peines par bouts…) et je retenterai certainemetn l’expérience avec cet auteur un jour!

Écrit par : Karine | 16/09/2008

Je voulais te demander si il était traduit en français. Le 1er commentaire m’a donné la réponse. Il a l’air très bien, angoissant et oppressant à souhait. Je note.

Écrit par : Cécile | 16/09/2008

@ Laetitia : J’ai lu « le vampire de Ropraz » (il faudrait que je relise ma critique). Dans mes souvenirs on part de la violation de sépulture et des barbaries commises sur des cadavres pour traquer le monstre… ici c’est une sorte d’étude psychologique faite par la mère de l’enfant, mais qui, faute de pouvoir communiquer avec lui, se contente d’observer ses moindres faits et gestes au cas où il commettrait une horreur. Quant à l’autre livre dont tu parles, il me dit quelque chose mais je vais plus me renseigner !

@ Alice : « le carnet d’or » fait partie de ceux que je veux vraiment lire. Hier j’ai feuilleté « The sweetest dreams » dont je ne connais pas le titre en français. ça me tentait énormément mais ce n’était pas raisonnable du tout alors je me suis forcée à attendre.

@ Ingrid : Lessing est un auteur très prolixe (il y a donc tout un tas de romans et de nouvelles aux sujets très différents qui pourraient te tenter) et vient d’avoir le Nobel. C’est aussi une personnalité à ne pas manquer. Quand elle a eu le Nobel, elle a dit que c’était parce que le jury s’était dit quelque chose dans ce genre : « ouh, celle-là, elle n’en a peut-être plus pour longtemps, il faudrait peut-être s’occuper de son cas » !

@ Thaïs : l’écriture en VO est à mon avis accessible, même si tu n’es pas trop sûr de ton anglais… c’est toujours bien de découvrir les mots réellement employés par l’auteur, mais après tout, la VF doit être bien aussi !:)

@ Caroline : Décidément ! Eh bien je cherche des infos de suite !

@ Karine : ce livre se lit vraiment d’une traite et ne serait-ce que par son format, il ne peut pas comporter les longueurs que tu évoques dans « le carnet d’or/the golden notebook »… n’hésite pas, si tu aimes les romans psychologiques et les fresques sociales cela devrait vraiment t’intéresser !

@ Cécile : Il est vraiment très bien et il arrive à reprendre certains codes du classique roman d’épouvante et à être angoissant tout en étant profond et bien écrit.

Écrit par : Lou | 17/09/2008

J’avais adoré les grands-mères, mais je n’ai pas lu celui-ci. Par contre, je viens de terminer Un enfant de l’amour, qui m’a beaucoup déçue…

Écrit par : liliba | 23/09/2008

@ Liliba : je vais lire ta critique alors, je suis curieuse ! J’ai très envie de continuer à lire cet auteur.

Écrit par : Lou | 23/09/2008

Les parties que vous avez mis en relief sont bien les parties extrêmement caractéristiques qui sauttent bien aux yeux quand tu feuillette même ce livre. Les préférences bouquinistes sont tout à fait inexplicables, ce qui les fait si attirantes.

Écrit par : Kieran | 12/05/2009

@ Kieran : c’est sûr !

Écrit par : Lou | 12/05/2009

J’ai lu aussi, mais en français ! Sais-tu qu’il y a une suite ? On continue avec l’histoire de Ben.

Écrit par : Bernie | 15/08/2009

@ Bernie : en effet mais je ne l’ai pas encore lue (et mille excuses car je viens de lire ton commentaire qui m’avait malencontreusement échappé !).

Écrit par : Lou | 05/03/2011

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