Douceurs printanières

medium_segur_poetique_egorgeur.JPGEn ces jours de printemps ponctués par la pluie, adoucis par de brèves éclaircies et les délicates odeurs de pot d’échappement qui m’entourent, je me sens des envies de tendresse, de chocolat, de lectures à la terrasse d’un café. Finies mes pulsions meurtrières, mes tourments jubilatoires… en bonne lectrice que je suis, j’ai décidé de lire un roman tout en rondeurs, un roman tendre et rose bonbon en phase avec les premiers arbres en fleur qui parsèment mes cheveux de pétales roses dans la rue (quel pouet je fais !). Pleine de bienveillance et d’indulgence, le sourire aux lèvres et la main caressante, j’ai choisi avec amour mon dernier livre. J’avoue avoir longtemps hésité entre Toi et moi, Nous de Jacques Mévy et Ensemble, c’est nous de Anne-Marie Cavana. Puis, avec un petit soupir d’aise, j’ai finalement opté pour Poétique de l’Egorgeur de Philippe Ségur.

Découvert grâce à Caro[line], Philippe Ségur est une nouvelle bonne surprise pour moi : suis-je en voie de guérison ? Vais-je enfin lutter dignement contre mon allergie anti-auteurs français ? Peut-être. Notons, cher docteur, de nets progrès (Français : élève appliquée malgré une mauvaise volonté évidente).

Que dire de Poétique de l’Egorgeur ? Impossible d’évoquer le vrai sujet de l’histoire sans vous donner la solution au mystère. Je me contenterai donc de planter le décor, pour une petite mise en bouche.

Nid est encore jeune. Nid a une femme et deux enfants. Nid est un professeur de droit renommé. Il enseigne à Toulouse, devant un parterre d’amibes et de bactéries qui l’effraient tout particulièrement. Nid est respecté. C’est un expert, un des meilleurs. Nid mène une vie tranquille. Nid a la vie la plus heureuse qui soit.

Mais Nid est un romancier qui se cache. Nid est un homme torturé. Un homme qui allume son pc et qui, au moment d’ouvrir le fichier « roman », voit sa souris faire un bond salvateur vers « l’abandon de la faute lourde dans la responsabilité hospitalière ». Nid n’aime pas son métier et regarde avec détachement ses collègues – notamment un juriste à l’air de « lemming neurasthénique ».

Nid raconte l’histoire du terrible Yagudin à ses enfants. Mais il ne peut pas, ne veut pas coucher cette histoire sur le papier. Car ce monstre sanguinaire est par trop atroce.

Puis arrivent les vacances. Tout va de mal en pis. Coups de fil anonymes, factures suspectes, clefs qui ne fonctionnent plus, mot de passe invalide sur l’ordinateur, enveloppes vides envoyées chez lui en quantités industrielles. Et tous ces Y étranges, retrouvés çà et là autour de lui. Serait-ce une mauvaise farce ? La vengeance d’un étudiant dont il a consciencieusement massacré la thèse en juillet ? Et pourquoi pas Yagudin lui-même ?

Pris dans une spirale infernale, Nid perd femme et enfants ; un inconnu vit dans sa maison, ses chiens ne le reconnaissent plus. On le prend pour un fou (rassurez-vous, vous saurez ça dès les premières pages de ce roman, n’attendez pas ici le fin mot de l’histoire !).

Voilà pour le sujet de Poétique de l’Egorgeur. Et maintenant, le verdict !  Vous devez déjà vous en douter, je ne taillerai pas en pièce l’auteur cette fois-ci ! Avant tout, je ne m’attendais pas à trouver dans un roman français contemporain une histoire dense, dynamique et bien construite. Car selon mes précédentes expériences, le roman français était : 1) vacuité ; 2) nombrilisme ; 3) esthétique (déjà mieux) ; 4) auto-dérision (à juger sur pièce) ; 5) roman psychologique (de même). Je ne m’attendais donc pas à autant d’action : premier bon point !

Que dire ensuite ? L’écriture de Philippe Ségur est fluide et pleine d’humour. Ses comparaisons, son ironie, ses qualificatifs peu flatteurs font de Poétique de l’Egorgeur un texte vif et amusant. Les personnages sont bien campés : Nid en fait à mon avis un peu trop parfois, mais il m’a séduite par ses commentaires cyniques et sa paranoïa – en contraste avec sa passivité et sa bienveillance apparentes. Nid est complexe, à la fois agaçant, touchant, perdu, sur organisé, drôle, ironique, peureux, asocial, amical et égoïste. J’ai adoré ses filles, à la fois caricaturales et touchantes. La première est une mademoiselle je-lis-tout. A neuf ans, elle connaît tous ses classiques sur le bout des doigts, écrit consciencieusement dans un carnet et passe tout son temps libre un roman  à la main. Lorsque les choses ne vont pas, la solution s’impose d’elle-même : « Tu devrais relire L’île du Docteur Moreau ».  La petite, quant à elle, vit une relation exclusive avec son poupon Ian-Tole. Mais lorsque son père lui demande l’avis de Ian-Tole sur un point précis, elle fait la moue et jauge Nid d’un air sceptique avant de lui expliquer qu’il est un peu stupide de ne pas avoir vu que Ian-Tole n’était qu’un jouet.

Au final, j’ai dévoré la deuxième moitié du roman hier car je ne pouvais décemment pas abandonner Nid dans les affres qui le tourmentaient. Avec son histoire captivante, Philippe Ségur m’a enthousiasmée. A quand la prochaine lecture ?

230 p

Commentaires

Tu m’as donné envie de suivre la course éperdue de cet homme confronté à ses peurs et de découvrir qui se dissimule derrière Yagudin. Merci

Écrit par : nicolas | 30/03/2007

J’ai A-DO-RE ce livre, je suis ravie de lire ton article ! J’ai lu ce titre quand il est sorti et pour la première fois j’ai eu envie d’écrire à l’auteur… ce que je n’ai pas fait ! Pourtant il a un site et une adresse. http://ph.segur.free.fr/ Il est prof sur Toulouse.
Merci de me rappeler Ian Tole, un délice … Je n’ai pas encore lu ses autres titres mais je le ferai (c’est pour ça qu’il est dans mes 4 que je relirai)

Écrit par : Gachucha | 31/03/2007

@ Nicolas : ravie de t’avoir tenté avec les aventures de Nid !

@ Gachucha : je cours, que dis-je, je vole voir son site ! Merci !

Écrit par : Lou | 31/03/2007

Je n’ai encore rien lu de cet auteur, mais je compte bien le faire puisque je l’ai rencontré hier au Salon du Livre de Bordeaux où nous avons échangé quelques mots, j’en ai donc profité pour lui faire dédicacer « Écrivain en 10 leçons » ! 😉

Écrit par : Florinette | 01/04/2007

@ Florinette : oh, quelle chance d’avoir rencontré cet auteur ! Ce livre a l’air vraiment intéressant (blog de Caro[line]), j’ai hâte de lire ta critique !

Écrit par : Lou | 01/04/2007

Je t’ai dit des bêtises, j’ai déjà lu un livre de cet auteur, il y a un petit moment c’était « autoportrait à l’ouvre-boîte » en plus j’avais bien aimé, mais j’ai complètement oublié que c’était lui qui l’avait écrit, pfffff n’importe quoi, j’ai besoin de vacances moi ! 😉

Écrit par : Florinette | 01/04/2007

@ Florinette : moi j’oublie les histoires que je lis au bout d’un certain temps, c’est encore pire !;o)

Écrit par : Lou | 02/04/2007

Tu vois, Lou, comme toi j’ai du mal avec la littérature française mais les auteurs français édités par Buchet-Chastel me plaisent ! Je ne les ai pas tous lus, loin de là, mais dès que je pioche un Français chez eux, ça marche ! Ségur fait partie du lot bien que je n’ai pas encore lu celui-ci mais je compte lire d’abord son dernier car, avec un peu de chance, je pourrai le croiser à un salon du livre régional à la fin du mois. Dans l’écurie française de Buchet-Chastel, je te recommande J.M. Erre avec « Prenez soin du chien », T. Paris avec « Pissenlits et petits oignons », dans les Ségur, lire son excellent « Métaphysique du chien », X. Houssin avec « La ballade de Lola » ou encore « 16, rue d’Avelghem » et enfin T. du Sorbier avec « Ottaviana ». Tous ces auteurs ne font pas dans la littérature à la mode et j’aime ça !
Bonne semaine Melle Lou 🙂

Écrit par : Flo | 02/04/2007

@ Flo : je note précieusement tous tes conseils… je crois que je vais me laisser tenter par les Français après mes découvertes récentes !:o) Je te recommande aussi Eric Chevillard avec « Oreille Rouge » !

Écrit par : Lou | 02/04/2007

Lou, ta critique est super ! As-tu écrit à Philippe Ségur ? Je suis sure qu’il va adorer ce que tu dis de « Poétique de l’égorgeur » !

Gachucha, n’hésite pas à écrire à Philippe Ségur, c’est quelqu’un d’adorable !

Florinette, quelle chance de l’avoir rencontré !

Écrit par : Caro[line] | 03/04/2007

@ Caroline : je n’ai pas encore écrit à Philippe Ségur mais je crois que je vais le faire, car j’ai vraiment passé un très bon moment à lire cette petite « douceur printanière » ! Merci encore pour cette découverte !

Écrit par : Lou | 04/04/2007

Aujourd’hui, dans un mail à Philippe Ségur, je lui ai parlé de ton emballement pour son livre. Je lui ai dit aussi que tu avais écrit un article génial à ce propos… mais sans lui donner le lien ! Donc dépêche-toi de lui écrire pour lui en parler ! ;o)
(Quoi ?!? Je te mets la pression ?!? Meuh non…)
(Sérieusement, je trouve ton article tellement bien que Philippe Ségur ne peut pas ne pas le lire !!!)

Écrit par : Caro[line] | 05/04/2007

@ Caroline : c’est vraiment adorable de ta part, même si je n’osais pas trop écrire à Philippe Ségur en me disant que j’aurais l’air un peu bête avec mon article ;o) En tout cas ça me fait plaisir de voir que ma critique te plaît, d’autant plus que sans toi je n’aurais sans doute jamais découvert ce livre !

Écrit par : Lou | 06/04/2007

Heu… je peux t’avouer un truc ? Hier, j’ai rédigé un article sur mon blog à propos de ton article sur « Poétique de l’égorgeur » !!! Pour le moment, il est enregistré en mode Brouillon car je ne veux pas le publier sans ton accord. Alors ? :o)
(En plus, Philippe Ségur fait partie de la mailing-list de mon blog, donc il va surement lire mon article… donc ton article !)
(Oui, je suis pénible, je sais… :o) )

Il ne faut surtout par hésiter à écrire à Philippe Ségur et aux auteurs en général car ils apprécient notre avis, surtout s’il est positif (forcément !!!).

Je viens d’apprendre que Philippe Ségur était l’invité de l’émission « Du jour au lendemain » d’Alain Veinstein sur France Culture cette nuit. Vous pouvez l’écouter ici :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/jour_lendemain/index.php?emission_id=58

Écrit par : Caro[line] | 06/04/2007

@ Caroline : oui j’ai vu ton article sur l’émission de France Culture ! J’écouterai ça à mon retour de vacances, comme j’aurai peu accès à internet d’ici là…
Bien sûr, tu peux publier ton article faisant référence à ma note! Et nan, tu n’es pas pénible… merci pour ton enthousiasme, ça me touche beaucoup et m’encourage à continuer mon petit blog ;o)

Écrit par : Lou | 06/04/2007

Retrouvez donc mon article à propos de cet article, là :
http://krolinh-lectures.blogspot.com/2007/04/my-lou-book-potique-de-lgorgeur.html

:o)

Écrit par : Caro[line] | 06/04/2007

:o)

Écrit par : Lou | 06/04/2007

C’est noté 😉

Écrit par : Flo | 11/04/2007

J’avais beaucoup aimé « métaphysique du chien » du même auteur. je suis contente de voir que celui -ci t’a un peu réconcilé avec les auteurs français.j’avoue avoir la même réaction…

Écrit par : cathulu | 15/04/2007

@ Cathulu : j’avoue avoir hésité avec « Métaphysique du chien », ce sera sans doute mon prochain !

Écrit par : Lou | 15/04/2007

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