De l’art de l’autodérision

e4a6955a999e45427d261a1abca294a1.jpgJe viens de lire un ouvrage extraordinaire. Terriblement moderne, amusant, déconcertant. A nouveau, Edith Wharton a frappé avec cette délicieuse ironie qui la caractérise.

Novelette écrite à l’âge de quatorze ans, Libre et Légère est d’abord l’histoire de Georgie, jeune fille ambitieuse au caractère affirmé (et on le remarquera, au prénom bizarrement masculin). Après une partie d’échecs où la demoiselle « cherche querelle » à son charmant fiancé Guy Hastings, le nœud du problème nous est rapidement révélé : entre le jeune dandy un peu trop oisif à son goût, et le vieux Lord Bretton, Georgie va rapidement devoir faire son choix. Première surprise : devant une mère qui s’inquiète pour le bonheur de sa fille et la réaction du pauvre Guy, la jeune héroïne choisit délibérément d’évincer son jeune fiancé, persuadée que leur amour ne durera pas dans la pauvreté. Le tout pour un vieux duc fortuné atteint de goutte et d’accès de mauvaise humeur. Après une courte lettre de rupture qui plonge Guy dans le désespoir, Georgie épouse rapidement Lord Bretton, rayonnant dans les bals, triomphant dans de somptueuses parures et se révélant une brillante maîtresse de maison au cours des dîners mondains que le couple organise.

Le récit oscille au début entre le désarroi de Guy, parti peindre avec un ami à Rome pour oublier son malheur, et le triomphe de Georgie, rapidement effacé par le regret, la solitude et l’ennui.  Alors que Guy se jure de ne pas tomber de nouveau amoureux, il rencontre la blonde Madeline (autant dire une créature douce et effacée dont le caractère aussi bien que l’apparence sont diamétralement opposés à ceux de Georgie). Alors qu’une existence paisible se profile devant lui, les remords assaillent de plus belle Georgie. L’impétueuse brunette arrachera-t-elle Guy à l’heureux foyer qu’il se proposait de fonder ? C’est ce que je vous invite à découvrir en lisant ce récit.

Mes points de repère sont presque inexistants, puisque de Wharton je n’ai lu jusqu’ici que Xingu. J’ai d’abord trouvé l’écriture élégante, mais un peu moins fine. Les fils de cette histoire sont peut-être un peu grossiers et tiennent plus du conte que du roman, aussi court soit-il. Cependant, après avoir feuilleté ce livre et songé que le texte était un peu moins abouti que le premier que j’avais lu, j’ai découvert à quel âge ce texte avait été écrit. Je l’ai donc lu avec cette information à l’esprit. Et là, on ne peut s’empêcher d’être fasciné par l’extrême maîtrise de l’écriture, bien trop élégante pour que l’on pense qu’elle est celle d’une adolescente. Comment ne pas s’étonner devant l’œil perçant qui sonde tous ces personnages ainsi que leurs faiblesses et appuie là où les conventions sociales sont les plus critiquables ?

Le texte en soi est déjà fascinant lorsqu’on songe à quel âge il a été écrit et lorsque l’on sait que ses thématiques seront reprises dans certains des principaux ouvrages de Wharton (Ethan Frome, The Age of Innocence…). C’est pourtant compter sans les trois critiques imaginées par Edith Wharton et qui suivent le récit. Précisons d’abord que le texte, seulement publié en 1993, avait été écrit sous le nom de David Olivieri.

C’est un triste aspect de la nature humaine que cette passion suicidaire d’écrire des romans qui atteint toute une catégorie de fanatiques inoffensifs, lesquels, sans avoir un grain de talent ni de formation littéraires, profitent de la liberté de la presse pour inonder le public exténué de balivernes sentimentales (…). Parmi les plus récents de ces automeurtriers qui s’ignorent, signalons (avec une compassion particulière, car son cas paraît vraiment désespéré), l’auteur de Libre et Légère.

(…) Et le lecteur écoeuré est nettement incité à se demander si Mr Olivieri n’est pas en réalité une petite écolière mélodramatique qui a commencé son roman avec l’envie féroce et meurtrière d’écrire quelque chose (d’osé) et qui a fini par effacer en rougissant tous les termes scabreux que pouvait lui fournir son maigre vocabulaire.

Quelle n’a pas été enfin ma surprise en découvrant la nouvelle sur laquelle se termine ce livre, Expiation ! Car il s’agit de l’histoire de Mrs Fetherel, auteur en herbe qui vient de publier un roman intitulé… Libre et Légère ! Ici, Mrs Fetherel estime avoir écrit quelque chose de très audacieux et espère choquer son entourage et gagner l’estime du public grâce à la condamnation de la presse. Quelle n’est pas sa déception lorsque son époux aussi bien que son oncle l’évêque ou sa cousine (qui écrit des ouvrages botaniques) trouvent ce livre bien plaisant et lui reprocherait, tout au plus, le titre qui suggère un texte honteux et bien plus osé ! Et là, autant faire place une fois de plus à la plume de Wharton :

(Le mari lit avec enthousiasme une critique devant Mrs Fetherel, la cousine et l’évêque)

« En cette époque de pessimisme vénéneux, de décadence et de dépravation, le critique écoeuré ne s’étonne plus d’ouvrir un live saturé d’émanations fétides… »

Comme il n’avait pas l’habitude de lire à haute voix, il s’arrêta pour reprendre sa respiration, et l’évêque lança un regard aigu à Mrs Fetherel, laquelle garda les yeux plongés dans la tasse qu’elle n’avait pas réussi à lui faire boire.

« … d’émanations fétides, reprit son mari, et sa surprise est d’autant plus grande quand il tombe sur quelque chose d’aussi délicieusement inoffensif que le roman de Paula Fetherel, Libre et Légère. (…) Ce serait une erreur que d’être rebuté par le titre délibérément trompeur de ce charmant tableau de la vie domestique qui, malgré l’évidente faiblesse de la peinture des caractères et de la construction de l’intrigue, mérite d’être qualifié de jolie petite bluette »

J’en redemande !

188 p

Edith Wharton, Libre et légère, 1876

Edith Wharton, Expiation, 1903

Commentaires

C’est quand même bizarre que je n’accroche pas avec Wharton alros que tout le monde ou presque l’encense. J’ai lu Libre et légère, et non, je n’ai pas accroché, je ne saurais dire pourquoi, essentiellement parce que je ne me souviens plus vraiment de l’histoire.

Écrit par : Sophie | 23/09/2007

en tant que nouvelle fan de Wharton, je note 🙂

Écrit par : Stéphanie | 23/09/2007

Je vais voir si je le trouve à la biblio ! 😉

Écrit par : Florinette | 24/09/2007

Je note, je note ! Après Xingu, je meurs d’envie de lire d’autres ouvrages de Wharton.

Écrit par : Caroline | 24/09/2007

Je n’ai encore jamais lu de Wharton, mais ton billet la fait atterrir sur la liste des auteurs qu’il faudrait que je découvre un jour.

Écrit par : Niessu | 24/09/2007

héhé bienvenue au club!!!!! ;o)

Écrit par : lamousmé | 24/09/2007

mais dis donc, avec autant d’avis enthousiastes sur cette auteure, pourquoi ne l’ai-je toujours pas lu ?? (réponse : je n’ai pas encore trouver Xingu en VO!)

Écrit par : Emeraude | 26/09/2007

@ Sophie : je n’aurais sans doute pas accroché si je n’avais pas lu un autre livre avant. « Xingu » m’a fait penser que Wharton a un extraordinaire talent d’analyste et j’ai adoré son cynisme. J’ai aimé en retrouver les prémisses dans ce livre de jeunesse. Je suis d’accord avec toi pour dire que pris à part, ce n’est pas un excellent livre.

@ Stéphanie : j’ai pensé à toi en écrivant ma note :o)

@ Florinette : dans ce cas n’hésite pas à laisser ici un petit commentaire avec un lien vers ta note… je suis curieuse !:p

@ Caroline : je pense que je l’apporterai peut-être à un prochain dîner livres échanges !

@ Niessu : J’ai prévu d’autres lectures whartoniennes, peut-être que cela te tentera encore plus (car je suis sure que je vais apprécier ces livres) ;o)

@ Lamousmé : ce qui est rassurant (ou peut-être pas tant que ça), c’est qu’il y a matière à lire avec cette chère Edith !

@ Emeraude : j’ai vu sur un site quelconque que « Xingu » est sorti avec un recueil de nouvelles. Peut-être que le recueil a un titre différent. Sinon tu peux peut-être opter pour la solution la plus pratique et découvrir son chef d’oeuvre en 1er, « The age of innocence »…

Écrit par : Lou | 29/09/2007

Je vais lire (bientôt !) L’âge de l’innocence, et je suis d’ores et déjà enchantée par ces fragments de critique fictive !

Écrit par : rose | 01/10/2007

Je déteste Edith…mais je me languis de ton avis sur Huysmans 😉

Écrit par : Thom | 02/10/2007

@ Rose : ah ah, j’ai moi aussi « l’âge de l’innocence » dans ma PAL… nous pourrons bientôt comparer nos avis !

@ Thom : détester ? c’est un grand mot :o) Qu’as-tu lu pour être aussi dégoûté ? Quant à Huysmans, je le lis peu à peu… à la fois pour éviter les chapitres denses dans le métro et pour savourer l’écriture ! Mais je pense que ma note ne devrait pas trop tarder…

Écrit par : Lou | 04/10/2007

J’aime beaucoup ton billet! Ça été une belle lecture pour moi aussi. C’est étonnant d’écrire comme Wharton l’a fait à l’âge de 14 ans! :O

Écrit par : Allie | 09/06/2009

@ Allie : je suis bien d’accord. J’adore chez elle cette ironie assez vacharde et la description très exacte des comportements de ses contemporains. J’ai prévu de la relire très prochainement, avec un billet par mois en théorie.

Écrit par : Lou | 09/06/2009

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